Ce qui s’est passé dans les hautes vallées du Béarn à cause de l’ours est assez révélateur de ce qui se passe dans la société d’une manière générale. Extrait de l’intervention de Jean Lassalle lors du colloque du 12 juin 1996 au Puy en Velay sur le thème « Le vivant, la qualité, les territoires : quelle stratégie pour les acteurs d’aujourd’hui ? ».
Jean LASSALLE | 1996
Mots-clés : gestion du vivant | gestion en commun | gestion patrimoniale | crise du vivant | négociation territoriale | territoire vivant
Je suis fils de berger transhumant. J’habite le village de Lourdios-Ichere dans les Pyrénées Atlantiques. C’est dans une ambiance chaleureuse que mon père nous a inculqués à mon frère, mes deux sœurs et moi une certaine idée du pays. Sans qu’il nous ait jamais donné l’obligation impérieuse d’y rester, j’ai compris ensuite qu’il avait fait ce qu’il fallait pour que nous ne suivions pas le mouvement général des jeunes qui partaient. Chaque fois que je voyais des maisons se fermer, j’avais le cœur serré : c’était une civilisation qui foutait le camp ! Et, d’une certaine manière, par notre silence, nous laissions faire cela.
Lorsqu’il s’est agi de choisir, c’est finalement mon frère qui a repris l’exploitation, le troupeau familial et la transhumance. J’ai été élu maire de ma commune à 21 ans, puis Conseiller Général. Je suis vice-président du Conseil Général, député suppléant. J’ai fait un peu de politique. Mais je n’ai jamais considéré la politique comme une fin en soi. C’est un moyen de réaliser des actions. Comme je ne voulais pas en être dépendant, j’ai créé mon propre bureau d’ingénieurs conseil. J’ai toujours continué à mener cette activité.
Au début de mon mandat de maire, nous avons créé un foyer rural à Lourdios, ce qui nous a permis de beaucoup voyager et de comprendre pas mal de choses. Nous sommes allés en Allemagne, en Irlande, en Autriche, à Cuba, en Egypte, en Israël et, en retour, nous recevions les gens chez nous. Lors de nos escales à Paris, nous retrouvions les copains qui avaient quitté le pays. Ils n’étaient pas partis de gaieté de cœur mais lorsqu’ils venaient au pays, ils affichaient un certain bonheur. A Paris, nous nous sommes vite rendu compte que ce n’était pas très exactement le cas. Paris n’était pas forcément l’Eldorado dont on m’avait parlé. Dans le fond, nous n’avions pas absolument tort de faire le choix de rester au pays. Nous n’étions pas tellement isolés. Nous établissions des liens et des relations lors de nos voyages qui ont donné un grand coup de moral à mon village de 80 habitants : pratiquement tous les jeunes ont décidé de s’y installer.
Nous vivons dans la seule région de France où vivent encore, d’une manière naturelle, quelques ours. Nous trouvions cela assez naturel, même si la cohabitation a toujours été difficile au fil des siècles.
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